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Avalanche

Une Avalanche de Feu menace d’engloutir notre village.

Encagée dans les méandres d’un QR code sans visage, me voilà prise au piège, la gueule en sang, face écrasée contre le module de ma case en noir et blanc.

Le Lexique à vif, j’hurle mon nom à hautes lettres, mais aucun son ne sort de ma bouche. Ils ont gommé mes pleins et mes déliés, tailladé le creux de mes consonnes. Ils ont violé mes voyelles jumelles, jusqu’à faire saigner les branches qui ne respectaient pas leur police.

Avalanche QR code

Ils ont brandi mon nom dans toutes les langues, sans aucune consultation avant traduction.

Ils ont passé en gras l’unique Vérité, et ils l’ont injectée dans les veines de nos cahiers d’écoliers, dans les pores de nos bibliothèques et de nos théâtres.

 

Au nom de la préservation de mes propres insignes, ils ont éviscéré mes lettres de leur sang et de leur sens.

Ils ont regardé mon nom se vider de son encre.

Lorsqu’ils ont assoiffé la Poésie

A la vue de toutes et de tous

Pas un ne s’est levé.

Au village, ils ont dit que c’était mon cri qui risquait de déclencher l’Avalanche. Alors ils ont bâillonné mon cri, ils l’ont étouffé à coup de menace et de récompense citoyenne.

Ils ont commencé par isoler mon L, comme on isole les fous chez Shakespeare.

Décalotté la membrane crânienne, ils l’ont désolidarisé du reste de ses membres avant combustion.

La chaleur était trop contagieuse, alors le I est tombé tout seul. Droit comme un fusil.

Dans sa chute, il a abattu le B de plein fouet.

Mon premier E était encore fier, il pouvait se targuer d’appartenir à la grande famille des caractères libres.

C’est là qu’ils m’ont vendue au plus offrant, livrée sous astérisque, troquée contre bonbon-joujou-carotte-joli-petit-billet.

Mon premier E a tenu bon, même quand les flammes ont fait fondre sa barre maîtresse, il a refusé de pencher en italique.

C’est le R qui n’a pas supporté le spectacle. Dans sa mutinerie kamikaze, il s’est jeté de lui-même sur le bûcher.

La barre de mon T a voulu prendre le relais ; le trait acéré pointé vers le brasier, elle a signé dans les cendres, l’ombre de ma dernière syllabe.

Mon ultime consonne est morte en Sorcière, calcinée dans la fournaise de la Pensée unique.

Toutes les lettres de mon nom se sont écroulées en sœurs d’armes.

Toutes sauf une.

 

Ma petite dernière, elle, continue à s’abriter sous le auvent de son accent.

Seule dans la tourmente d’un Vocable qui n’est plus le sien, elle refuse de continuer à rimer avec Santé, Sécurité, ou Responsabilité.

Nous sommes en janvier 2022, à l’aube d’une nouvelle année morte-née.

Mon E final est la Lettre avec qui tout commence et tout finit, la cellule souche régénératrice de notre Humanité. Mon E final ne se laissera plus flashé contre son gré dans le charnier codé d’un carré usurpateur d’Identité.

Nous sommes en janvier.

L’Avalanche est passée.

Mon village est tombé.

Dans les ruines de son alphabet oublié, j’ai retrouvé les lettres de mon nom, LIBERTÉ.

Texte : Clio Van de Walle

Dessin : Elias

Mai 2022

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