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En Chine, des militantes féministes

« troublent l'ordre public »

 

在中国女权斗士‘打破了社会秩序’

« Stop au harcèlement sexuel », « Policiers, faites votre travail : arrêtez les harceleurs ». Ces tracts que cinq militantes féministes prévoyaient de distribuer pour protester contre le harcèlement sexuel dans les transports publics ont provoqué une répression violente de la part de l’État policier chinois. Le 6 mars, deux jours avant la Journée internationale des droits des femmes, Wu Rongrong, Wei Tingting, Wang Man, Zheng Churan et Li Tingting (aussi appelée Li Maizi) ont été placées en détention, risquant 5 ans d'emprisonnement. Aujourd'hui sous liberté conditionnelle, les « 5 de Pékin » sont sous étroite surveillance policière. Leur Longue Marche pour l'égalité des sexes ne fait que commencer...

Les 5 femmes, activistes pour la défense des droits humains

L'émergence d'une nouvelle génération de féministes chinoises

 

新一代的中国女性主义的出现

 

Elles n'ont violé aucune loi, elles n'ont commis aucun crime. Elles souhaitaient juste s'élever contre les discriminations qui touchent les femmes chinoises avec des autocollants et des tracts contre le harcèlement sexuel dans les transports de Pékin. « Une méthode classique qui ne devrait pas poser de problèmes », commente Elvire D. Charles, vice-présidente du mouvement Femen, avec qui nous avons pu nous entretenir.

Ces féministes qui ont entre 25 et 32 ans, et qui sont issues de différentes ONG chinoises, s'étaient fait connaître en multipliant les actions depuis deux ans en faveur de l'égalité des sexes. Elles s'étaient rasées la tête pour protester contre la décision des Universités chinoises de demander aux filles de meilleurs résultats que les garçons pour intégrer les hautes fonctions, avaient organisé une grande marche sur la muraille de Chine contre le sida, endossé des robes de mariées tachées de rouge le jour de la Saint-Valentin pour dénoncer le problème des violences conjugales qui touche une femme sur quatre selon les statistiques officielles en Chine, ou encore milité contre les examens gynécologiques préalables à l'embauche des femmes candidates à la fonction publique.

Cette fois-ci, leur arrestation a fait beaucoup de bruit. Si la blogosphère chinoise a immédiatement été victime de censure et les ONG pour la défense des droits humains ont été placées dans le collimateur du gouvernement chinois (notamment l'association Yirenping), toutes sortes d'actions internationales de soutien ont vu le jour, faisant connaître ces militantes dans le monde entier.

 

#FreeTheFive

 

La perquisition des cinq féministes chinoises, toutes membres de l'organisation Women's Rights Action Group, a donné lieu à de nombreuses initiatives : plusieurs pétitions en ligne ont circulé et la plupart des mouvements féministes se sont mobilisés. En France, l'organisation Osez le féminisme !, qui a suivi attentivement leur procès et participé à la mobilisation sur Twitter « #FreeTheFive », a lancé une cinquième édition de « Take Back the metro » durant la semaine du harcèlement de rue. « Ce n'est pas normal que les femmes se limitent dans leur déplacements » nous explique Margaux Collet, membre du conseil d'administration de l'association Osez le féminisme !, en pointant du doigt tous les types de violences machistes qu'endurent quotidiennement les femmes dans les transports en commun : murmures salaces, injures, sifflements, regards déplacés, attouchements… Les Femen de leur côté, qui avaient déjà mené plusieurs actions de soutien en Asie, ont publié une photo de soutien sur les réseaux sociaux, intitulée « The five are free ! Feminism is not a crime ». Pour les remercier, la militante chinoise Kale Ouyang, surnommée Ka Le (« Couleur »), co-présidente de Girl Fans China, un groupe de défense des droits des lesbiennes et bisexuelles, leur a envoyé une lettre ainsi qu'une photographie topless avec plein de tétons photoshopés par son amie Xiao Meili pour répondre à la censure de Facebook. « Il n'est pas impossible qu'une branche de Femen se développe en Chine, mais sous un mode différent que les seins nus », nous signale Elvire D. Charles. « L'on pourrait très bien imaginer des actions commando où l'on s'échappe juste après ».

La militante chinoise Kale Ouyang, surnommée Ka Le (« Couleur »)

« Les femmes soutiennent la moitié du ciel »

 

‘妇女能顶半边天’

 

Si les femmes représentent plus de la moitié de l'humanité, la société est toujours construite sur l'apartheid de celles-ci. Alors que l'égalité des sexes est inscrite dans la Constitution chinoise et que cette dernière encourage en théorie les prises de décisions politiques, économiques et familiales des femmes depuis 1982, la proportion des femmes occupant un emploi dans les villes chinoises est seulement de 61 % de nos jours et les discriminations perdurent. Interpellées pour avoir « cherché à provoqué des conflits » et « troublé l'ordre public », les cinq féministes chinoises sont traitées comme des criminelles. Véritables obstacles à la stabilité du pays, elles salissent l'appareil de sécurité chinois qui resserre davantage son contrôle et réprime tous les éventuels vecteurs de changements politiques. Assurer l'ordre et l'autoritarisme, c'est assurer pour le gouvernement et le Parti communiste chinois que les populations ne touchent pas à des sujets politiques trop revendicateurs. Les médias, les internautes, les universitaires et les artistes sont persécutés, les voix critiques étouffées. Dans cette Chine bien peu féministe, les « 5 de Pékin » sont parvenues à donner de la visibilité à leur lutte malgré la censure et les contrôles. Le combat se poursuit. « Les autorités doivent maintenant abandonner toutes les charges et les restrictions contre elles » a encouragé William Nee, expert pour Amnesty International sur la Chine.

 

 

- Supplément Interview -

 

附 采访记录

 

Face aux pressions, aux harcèlements et aux intimidations, l'engagement des féministes chinoises ne faiblit pas. Kale Ouyang, une activiste féministe de l'association Girl Fans in Guangzhou (Canton), incarne cette génération de militantes qui n'hésitent pas à défier le régime autoritaire chinois pour mener à bien leur combat pour la liberté des femmes et pour les droits des lesbiennes. Elle a répondu à nos questions.

 

Le Castor Magazine : Que pensez-vous des différentes actions de soutien qui ont été menées en France en faveur des Cinq féministes Wu Rongrong, Wei Tingting, Wang Man, Zheng Churan et Li Tingting (Li Maizi) ?

 

Kale Ouyang : Personnellement, j'exprime mes plus sincères remerciements au mouvement Femen. Leur photo de soutien prouve que les féministes sont unies et solidaires, et que le féminisme va bien au-delà des frontières nationales.

 

Le Castor Magazine : Pouvez-vous nous parler d'autres actions féministes qui ont eu lieu récemment en Chine, et des actions qui sont menées actuellement ?

 

Kale Ouyang : Le nombre d'actions féministes conduites en Chine a fortement diminué. Malgré cela, quelques actions ont été menées dernièrement. Li Tingting, connue également sous le pseudonyme de Li Maizi, l'une des Cinq de Pékin, a notamment aidé Ma Hu, une étudiante de la province du Jilin, à intenter un procès contre la poste de Pékin à propos de la discrimination entre hommes et femmes au travail. La poste refusait d'employer des femmes dans son personnel.

 

 

A gauche de la photo, Ma Hu, à droite Li Maizi. Le geste symbolise « Nous pouvons le faire ».

Parmi les actions menées aujourd'hui, de nombreuses féministes chinoises roulent autour de la province de Hainan pour la lutte contre le harcèlement sexuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les 5 ont été libérées mais elles sont toujours suspectes, et on a limité considérablement leur liberté, c'est pourquoi nous devons continuer notre combat aujourd'hui, même si cela est de plus en plus difficile. Le 24 avril par exemple, la police a interrogé Wu Rongrong pendant huit heures et l'a insultée. Les policiers voulaient l'intimider et lui ont dit que si elle ne se montrait pas servile, soumise et résignée, elle serait envoyée à la prison des hommes et serait violée.

 

Le Castor Magazine : Qu'est-ce que les citoyens pensent de vos actions ?

 

Kale Ouyang : Lors des actions menées contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun, seuls quelques citoyens ont eu connaissance de cet événement. Cela s'explique par le blocus de l'information que nous subissons et la presse qui est muselée.

Ces dernières années, les actions féministes ont provoqué un grand débat positif. Même si certains citoyens, chez qui l'égalité des sexes fait consensus, sont persuadés que les Cinq de Pékin veulent détruire la Chine continentale et sont contrôlées par le pouvoir occidental.

 

Le Castor Magazine : Quelle est la situation des lesbiennes en Chine ? Où en sont les droits LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) ?

 

Kale Ouyang : La défense des droits LGBT est de plus en plus difficile au fil des ans. De nombreux événements, petits ou grands, ont été annulés. Par exemple, la conférence nationale LGBT 2014 a été annulée sous les ordres de la police.

De plus, dans un avenir proche, une nouvelle loi restreindra les ONG étrangères (ou de fonds étrangers). Toutes ces ONG devront aller à la police demander un statut juridique, ce qui aura un impact sérieux sur les ONG LGBT. Et puis, il est rare que les fondations investissent dans les LGBT, sauf pour le virus du sida (VIH).

D'un autre côté, avec le développement d'Internet, les applications des réseaux sociaux LGBT sont de plus en plus nombreuses. Par exemple, Blued est désormais la première application de rencontres gay au monde.

 

Mais revenons à votre question. Voici les problèmes auxquelles les lesbiennes sont confrontées en Chine :

-Comparé aux hommes gays, les lesbiennes sont invisibles. Les dirigeants des ONG LGBT sont toujours des hommes qui ne se soucient pas vraiment de l'égalité des sexes.

-De plus, la pression sociale est grande. Que ce soit au travail ou dans leurs familles, les lesbiennes subissent de nombreuses discriminations.

Les femmes qui ne sont pas mariées avant 30 ans sont considérées comme des "leftover women" (une expression péjorative qui vient du chinois "sheng nu") par le gouvernement. Ces trentenaires célibataires sont discriminées et marginalisées à cause de la sphère politique, et ce malgré leurs nombreux diplômes.

De fait, de plus en plus de lesbiennes doivent se marier à des hommes homosexuels pour couvrir leur orientation sexuelle.

-Les droits sexuels et reproductifs pour les lesbiennes sont inexistants. La loi de contrôle des naissances chinoise ne reconnaît aucune naissance en dehors du mariage hétérosexuel. Si une femme célibataire tombe enceinte, elle devra donner une grande quantité d'argent au gouvernement afin de demander une identité pour elle et son enfant. 

Il est très difficile pour une personne seule d'adopter des bébés. Et puis, très peu de bébés sont en bonne santé. Or les chinois ne souhaitent pas d'un enfant handicapé et impotent qui augmenterait leur charge.

D'autre part, si une lesbienne épouse un homme gay, cela peut aussi s'avérer dangereux et gênant. La famille de l'homme gay peut empêcher la femme de voir son enfant et la priver de la garde de celui-ci.

 

Le Castor Magazine : Quels sont vos vœux pour le futur ? Qu'espérez-vous pour le féminisme en Chine ?

 

Kale Ouyang : Je souhaite que les citoyens chinois ne souffrent plus de discrimination sur le genre et l'orientation sexuelle. Que toutes les féministes puissent défendre les droits des femmes sans subir aucun interrogatoire ensuite.

 

 

 

Pam Méliee

Mai 2015

 

Remerciements : Elvire D. Charles,

Margaux Collet, Kale Ouyang

 

Merci à Lise et à Ge pour

les traductions en chinois

 

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