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Psychophobie

Les « malades » réclament leurs droits

 

Le terme « psychophobie » (ou le « sanisme ») désigne toutes les violences faites aux personnes considérées comme « folles », « malades mentales » ou souffrant d’un trouble psychique voire de plusieurs, par rapport aux normes sociales imposées. La psychophobie, c’est ce contre quoi tou.te.s les vivant.e.s ont à se battre : l’étouffement d’un système qui se base sur la binarité des genres et dont le seul critère de raisonnement est la classification du « normal » et de « l’anormal », du bizarre et de l’habituel.

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Pour cet article, nous avons recueilli les témoignages téléphoniques de plusieurs personnes sortant de la norme du fonctionnement psychique (schizophrénie, troubles borderline, bipolarité… ), qui font part de leurs expériences de la psychophobie. Leurs prénoms ont été modifiés.

 

« La psychophobie, c’est la discrimination systémique envers les personnes neuroatypiques (autisme, troubles DYS) ou psychoatypiques (troubles de la personnalité, trouble borderline). Elle se manifeste par un rejet, des discriminations, des représentations faussées, des difficultés à l’embauche, à trouver des partenaires, des ami.e.s, etc. », explique Nichole Suttez (anagramme de « schizo en lutte »), membre de SOS Psychophobie. Cette oppression, qui se manifeste à tous les niveaux de la société, y compris dans les « soins » accordés aux « folles et fous », est encore peu prise en compte au sein des milieux militants, qui se veulent inclusifs. C’est parce que la psychophobie et le système psychiatrique invisibilisent et maltraitent celles et ceux dont les cerveaux ne fonctionnent pas comme la norme le voudrait, que Le Castor a essayé de rendre la parole aux personnes concernées.

 

L’humour nocif : au bonheur des sanistes

Parmi les violences sociales qui s’exercent contre les folles et les fous, celle qui consiste à détruire les personnes neuroatypiques et psychoatypiques sous couvert de l’humour est fréquente. Nichole Suttez connaît bien ces « blagues » qui nourrissent les stéréotypes sur lesquels elles se fondent. Cette femme d’une quarantaine d’années, qui souffre de troubles schizo-affectifs et d’une dépendance aux benzodiazépines ainsi qu’à l’alcool, se bat notamment contre cet humour nocif, qui sanctionne et rejette, fantasme les autres et rabaisse les opprimé.e.s. « T’as toujours l’impression que même si on vivait dans une société utopique où les genres seraient abolis, avec zéro discrimination, il y aurait toujours quelqu’un pour faire une blague à la con sur les folles et les fous ». Dans une société idyllique et juste, le malheur des « malades » fera toujours de la bonne pâtée pour la grande majorité des neurotypiques, ces personnes dans la norme dominante du point de vue de leur fonctionnement mental et psychologique, de leur état mental, et qui ont de surcroît une faculté à produire des blagues nocives à la TPMP.

« Un jour j’étais dans un bar, un mec vient me parler (mais pas pour me draguer). Et là il me dit : « en fait, t’es sympa ». J’ai un pote qui m’a dit que t’étais folle, et en fait t’es sympa. Il était venu vérifier ce que j’étais, et il s’est marré ». Léo, la trentaine, a des troubles borderline. Avec ses ami.e.s, ielle se plaît à répandre un rire militant et inclusif. « Au lieu des minorités discriminées, rions des classes dominantes, des masculinistes, des racistes, des LGBTphobes, des carnistes… Rien ne me motive davantage que de tourner en dérision nos oppresseurs. Garder le silence me donnerait l’impression d’être aussi coupable ». Et en effet, dans la pensée dominante, il y a beaucoup d’idées à court-circuiter.

 

Les clichés persistants, y compris dans les milieux militants

 

« Je fais partie de l’association SOS Psychophobie afin de lutter dans le monde classique et pour informer les gens. Il y a beaucoup d’ignorance et de préjugés à propos des personnes neuroatypiques et psychoatypiques », explique Nichole Suttez. « Quand je dis que je suis schizo et que j’étais infirmière psy, c’est comme si je disais : je suis cosmonaute. Il y a une image romantisée et géniale de la folie (« tu dois rencontrer des poètes ! », « oui, mais des cons aussi »), style Antonin Artaud ou Van Gogh. Ou bien une image affreuse de la folle et du fou. On m’a déjà demandé si j’avais déjà tué quelqu’un ou si je changeais de personnalité les soirs de pleine lune. » D’après Léo, même dans le microcosme militant, le constat reste sans appel. « Ces milieux ne sont pas sensibilisés à la psychophobie et nous ne sommes pas assez écouté.e.s. J’ai une pote qui ne peut pas aller tracter seule (de toute façon c’est idiot) ou aller en manif (elle est agoraphobe), or son association ne comprend pas que la lutte c’est important, mais pas au détriment de sa santé ». Dominique, la trentaine, est borderline et handicapé.e physique. Iel est aussi non-binaire, en train de transitionner. A ses yeux, cela dépend des associations. « Je milite au sein de la France insoumise. Les gens sont réactifs, qu’elle que soit l’agression psychophobe. Mais dans d’autres milieux militants, la problématique n’est pas prise en compte. Avant j’étais au PS, la psychophobie était dénigrée. Notamment sur la problématique des suicides et du burn-out. » Malheureusement, le cliché « psychophobe » du « fou furieux » ne vient pas de nulle part et les médias ont un rôle à jouer dans la médicalisation forcée, la marginalisation et l’isolement des personnes folles.

« Le patriarcat tue plus que les fous »

On voit souvent l’emploi de la folie comme marque péjorative et comme insulte dans les médias. Les criminels, les fascistes ou bien Donald Trump sont appelés « fous ». Dans les reportages télévisuels, dans les titrailles et les contenus des articles, les personnes folles apparaissent violentes, alors qu’il est nécessaire de rappeler que dans la majorité des cas, elles ne sont dangereuses que pour elles-mêmes. Nichole Suttez explique : « Sauf quelques médias spécialisés qui sont bien, comme Santé Mentale, des médias alternatifs style Comme des fous et Neptune, les médias généralistes… c’est l’horreur. Il y a l’idée de dangerosité des psychotiques. Cette idée entretenue et fantasmée est horrible car on ne tue pas plus que la population générale et on est beaucoup plus victimes de privations et de violences. Le patriarcat tue plus que les fous ». Dominique constate la même chose. « On fait un reportage sur quelqu’un dans un institut, mais pas sur quelqu’un qui vit dehors sans prise en charge. On fait des associations entre les terroristes et les schizo. On genre beaucoup les maladies, ça se voit notamment dans la dépression, où l’on te dit que c’est une maladie de femme et que tu fais semblant. »

 

Dans le milieu médical aussi, la représentation des maladies apparaît extrêmement genrée. L’on parle davantage des hommes fous et des femmes borderline. « Lors de ma première tentative de suicide, un médecin a trouvé bien normal pour une jeune fille de se suicider par amour », explique Nichole Suttez. « On m’a reproché d’être trop virile, de boire comme un homme, de mener des conduites à risque, de beaucoup gueuler, de me mettre en colère. Je ne tenais pas mon rôle de femme. » Ainsi, le patriarcat maintient simultanément les femmes et les hommes dans des rôles genrés qui leur sont assignés. L’anorexie ou encore la dépression sont bien trop souvent associées à une quête de la beauté et à la féminité sans en chercher les causes sociétales. De fait, on interdit aux hommes l’expression de leurs émotions et la possibilité de demander de l’aide. A l’inverse, on essentialise les maladies mentales chez les femmes sans remettre en question le sexisme systémique qu’elles subissent au quotidien. Tour à tour, l’on diabolise ou l’on esthétise une pathologie selon le genre auquel elle est associée et l’on fait payer celles et ceux qui n’entrent pas dans ces cadres.

 

La psychophobie dans le domaine médical

La psychophobie se manifeste également par une maltraitance des personnes neuroatypiques et psychoatypiques dans les institutions (traitements non consentis, maltraitance dans les hôpitaux privés et publics) et par les médecins généralistes « qui prescrivent à tout va des neuroleptiques ». « Quand tu es folle / fou, on te dit de prendre un Xanax, ça ira mieux ! », alerte Nichole Suttez. « Je suis schizo-bipolaire. Je suis des soins au Centre médico-psychologique (CMP) de mon village avec des entretiens infirmiers. Je suis dépendante aux benzodiazépines et à l’alcool. J’ai des neuroleptiques, avec des injections tous les quinze jours, qui me font prendre du poids (vingt à quarante kilos parfois). Je suis donc suivie par une diététicienne, mais aussi par un médecin addictologue dans un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), une infirmière, un éducateur… Je fais partie de groupes d’entraide également. Ce sont des auto soins, de l’autosupport. J’ai été hospitalisée deux fois. La première hospitalisation a été super violente. Je m’automutilais. J’ai eu un traitement : des neuroleptiques et un truc régulateur. Je suis sortie comme un zombi. Ensuite, j’ai subi un enfermement en chambre forte. Je dormais nue sur une couverture, il n’y avait pas de matelas. L’infirmier venait me voir trois fois par jour. Je mangeais par terre avec une cuillère. Je n’avais pas le droit d’avoir des livres, je ne comprends toujours pas pourquoi. Je n’avais pas de lunettes. J’étais coincée dans quatre ou six mètres carrés avec rien à faire (…). Le pire dans l’enfermement, c’est la privation sensorielle. »

 

Dominique aussi a été victime de psychophobie dans les soins qui lui ont été accordés. « Il s’agissait de violences de mon psychiatre surtout, lorsque je lui ai dit que je voulais transitionner. Il m’a répondu que c’était juste un truc à la mode pas si courant que ça. » Aujourd’hui encore, l’enfermement en chambre d’isolement en hôpital psychiatrique, l’internement de force, le maintien par camisole de force ou la médicamentation contre son gré (par piqûre) sont pratiques courantes de la psychiatrie. Tout comme les mouvements féministes et LGBTQI+ souhaitent déconstruire les normes de genre, les militant.e.s anti-psychophobie critiquent la « normalité » psychique et s’engagent pour l’entraide et le partage des techniques de soin. Iels le clament haut et fort, iels resteront inadaptables tant qu’il le faudra.

Février 2019
Article : Pam Méliee
Dessin : Mymy

 

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