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"Lui", Manifeste branché de "l'hétéro-connard"

 

      Le mal est fait : la « nouvelle » formule de « Lui Magazine » a un an. Largement inspiré par les théories masculinistes et rétrogrades du « Premier sexe » d’Eric Zemmour, Frédéric Beigbeder a donc eu l’audace, dans un pays où la domination masculine reste largement ancrée dans nos institutions, de relancer 10 numéros d’une presse totalement archaïsante, regorgeant d’articles misogynes et de photographies « porno-chic », afin de réhabiliter un lectorat d’hommes menacés : les « hétéros connards ». Enquête, 51 ans en arrière (et plus), parmi « les derniers hommes ».

 

 

Le numéro du mois de septembre 2014 : sexy sexisme, ou comment la rentrée littéraire n’aura pas lieu 

 

 

Retour vers le passé

 

« Beigbeder (…). Son nouveau livre cache le sein du mannequin en une du nouveau numéro du magazine, qu’il dirige…». Au fond, même 20 Minutes l’a compris, le rédacteur en chef de Lui Magazine est bel et bien un « connard d’hétérosexuel » totalement narcissique, qui ne cesse de mettre en scène sa misogynie et sa beaufitude dans son propre magazine.  Mais pour comprendre à quel point le rédacteur en chef du Lui est médiocre et dénué d’imagination, il faut remonter en 1963 lorsque Daniel Filipacchi crée « le premier magazine de presse de charme » en s’inspirant du magazine américain Playboy. Le magazine publie alors des photographies de starlettes et de pin-up, ainsi que des articles mondains s’adressant à un public bourgeois cultivé. C’est avec la crise du marché de la presse de charme que le magazine disparaîtra de l’espace médiatique, avant l’arrêt définitif de la parution en 1994.  Heureusement, la version 2013 de Frédéric Beigbeder et ses titres de rubriques révélateurs (« Les filles à épingler », « La défonce du consommateur») savent reproduire à l’identique la ligne éditoriale de Daniel Filipacchi, tout en démultipliant les publicités misogynes où les femmes sont de beaux objets de luxe, par nature consuméristes et vénales. 

 

Le mythe des « derniers hommes », ou de la virilité perdue

 

Le numéro du magazine daté du mois de septembre 2014 montre que Frédéric Beigbeder est passé maître en l’art du ressassement, puisqu’il reproduit sans difficulté le même éditorial que l’an passé ; racisme, homophobie et antiféminisme à la clef.  Souvenez-vous, aux yeux de Frédéric Beigbeder, l’échange de rôles était probant : « cet été à Biarritz, j’ai vu les derniers hommes (…) Des pères qui obéissaient à leurs enfants… pendant que leurs mères surfaient dans des rouleaux de quatre mètres ». Le mythe de la virilité perdue s’attestait même scientifiquement, réduisant les hommes à l’impuissance : « il est prouvé scientifiquement qu’il y a de moins en moins de spermatozoïdes dans nos testicules ». Face à cette menace, « l’hétéro-connard » (« ce mammifère viril et romantique, obsédé par les femmes et ami des gays ») luttait pour sa survie. L’éditorial du numéro 10 n’est pas moins préhistorique. Car Frédéric Beigbeder ne nous prend pas pour des poires : à ses yeux, son magazine a vocation à être un journal féministe. C’est ainsi que le patron de Lui nous apprend qu’il se passionne pour la femme (« les femmes ne sont pas notre ennemi puisque nous voulons coucher avec elles en permanence, et qu’il nous arrive même, parfois, d’en aimer une »), assimile le combat des Femen à la cause de son magazine (« elles utilisent leur nudité comme une forme de combat, elles utilisent leurs seins pour défendre la cause des femmes, c’est donc un féminisme qui soutient la cause de Lui »), et prétend se battre pour « la défense d’un érotisme sans machisme ». Evidemment, la comparaison entre les Femen, qui ont choisi la nudité pour rappeler que leur corps leur appartient, et les photographies du journal mettant en scène des pin-up aux poses soumises portant des accessoires de luxe précisément référencés en bas de page, est honteusement offensante. Mais d’après Frédéric Beigbeder, les femmes auraient volé aux hommes le rôle qui leur revient, alors le directeur de Lui participe activement à changer la tendance… sous couvert de « féminisme » antiféministe, pour pas trop que ça se voit. 

 

Le seul, le vrai, l’« hétéro-connard »

 

« Certains l’appellent ‘macho’, d’autres disent ‘néo-beauf’ mais le surnom qui lui va le mieux est connard d’hétérosexuel», écrivait Frédéric Beigbeder dans un élan de poésie, au mois de septembre 2013. Le seul, le vrai mâle qu’il faut donc réhabiliter est l’« hétéro-connard ». Un spécimen viril et « ami des gays », qui daigne accorder aux homosexuels son attachement. Ici encore, la formulation de Frédéric Beigbeder prend une tournure affligeante et légèrement homophobe, puisqu’elle exclue carrément les homosexuels des hommes… On n’est plus à une insulte près.

 

Sexy sexisme

 

Cessons maintenant de nous focaliser sur les éditoriaux de Frédéric Beigbeder, et commençons notre lecture fascinante du magazine. Après tout, le regard vif de la fille blonde en couverture et le livre de Beigbeder qui cache ses seins nous annoncent tout un programme littéraire. Et puis justement, le magazine ne titre t-il pas « La rentrée Littéraire » ? Bon, l’épluchage débute par une série interminable de publicités : costumes chics et montres, femmes-objets aux jambes écartées, parfums masculins, bijoux… J’arrive avec difficulté à l’entretien entre Beigbeder (ça devient lassant) et Gaspard Proust. Je saisis quelques phrases au passage, signées Gaspard Proust : « on le sait, les femmes belles et intéressantes sont rares donc n’y en aura pas pour tout le monde. Alors au lieu de se rendre triste à chercher ce qu’on n’est pas sûr d’atteindre, pourquoi ne pas essayer de combler ce malheureux besoin de tendresse en lui trouvant un objet de substitution accessible comme un écran plat, un iPad ou une boîte de cassoulet ? ». Suffisantes pour me dire que décidément, on n’est pas dans un extrait des Jeunes filles en fleur. Après avoir encore passé quelques publicités, je crois tomber sur un article. A plusieurs reprises, j’hésite. « La défonce du consommateur : moteur, high-tech, design, style» titre « oui maîtresse ! » et présente 4 pages de voitures et de scooters avec prix mirobolants et formes étranges de carrosserie à l’appui. Je continue de tourner les pages, croise une publicité classe de Tony Parker avec un costume et une montre, puis une publicité de moto en forme de suppositoire géant, avant de retomber sur « La défonce du consommateur : le seigneur des rings ». Même incertitude, deux pages d’accessoires pour faire de la boxe, où un whisky à 165 euros côtoie une eau de toilette et un bracelet à 4250 euros, pas forcément nécessaires pour pratiquer la boxe. Encore des pubs, une rubrique « vestiaire » qui porte bien son nom, des pubs encore, dont celle d’« Eden Park » heurte particulièrement mon œil. Une fille blonde platine en mini jupe en cuir pose avec un fer ; il faut croire qu’elle est en train de repasser une chemise. Comme si ce n’était pas assez explicite, la publicité ajoute au milieu de l’image, dans une taille de police énorme et en caractères gras : « For you, guys ».

 

 

La publicité de la marque Eden Park aime aussi faire du sexisme sous couvert d’humour (et de bon goût).

Celle-ci a déclaré qu’elle souhaitait « mettre la marque dans le débat de l’évolution des rapports hommes/femmes ». Qui en doutait ?

 

 

 Je continue de tourner les pages, croise un article vaguement politique et admire la pertinence des questions du journaliste Thomas Legrand à Pascal Canfin : « est-ce que vous êtes féministe ? » Une ligne plus loin : « est-ce que le pouvoir rend séducteur ? ». (…) Des pubs, encore des pubs. Je sature, commence à sauter des pages, et finis par arriver aux photographies. Celles de Karen mettent en scène une femme « extraterrestre » aux cheveux roux et courts plaqués en arrière. Son corps blanc irradie la page d’une lumière huileuse, artificielle au possible. Inhumaine et enduite d’un liquide douteux, l’extraterrestre dénudée et lascive est un écho de plus à l’éditorial de Frédéric Beigbeder : « la femme est un extraterrestre et nous sommes ses capitaines Kirk, conquérants des planètes lointaines ». Les photographies de Fanny mettent en scène une blonde aux yeux bleus et à la peau bien blanche, faisant semblant de s’adonner à la lecture des plus gros navets de l’histoire littéraire, dans des positions tout à fait improbables. Les titres des livres sont clairement rendus visibles, ce sont ceux de Frédéric Beigbeder ou de Leïla Slimani (Dans le jardin de l’ogre). Décidément, pas de petite phrase proustienne en vue. Les dernières photos sont celles de Camille, blonde filiforme à la peau blanche, posant seins nus dans les rues de New York. Le texte précédant les photographies souligne bien que le mannequin fait partie du mouvement « Free The Nipple » (littéralement, « libérez le téton ! ») et qu’il est inadmissible que les seins de femmes soient jugés tabous lorsque ceux des hommes sont autorisés dans la rue : « une injustice insupportable que nous dénonçons tous les mois dans les pages de notre magazine ». Effectivement, quand il s’agit de se rincer l’œil, la rédaction de Lui Magazine est de tous les combats. S’ensuivent les rubriques donnant aux lecteurs des adresses pour aller s’ébattre à l’aise à l’hôtel et les bars pièges à filles, « Quelque chose à se faire pardonner ? », prévoyant des cadeaux hors de prix en cas de perte de contrôle du couple… Et voilà comment faire du sexy sexisme en toute légitimité ! Voyage 51 ans en arrière (et plus), je vous l’avais dit.

 

- Pam Méliee

septembre 2014

 

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