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INTERVIEW

Solidarité avec les migrant.e.s LGBTQI+ coincé.e.s à Lesbos

Julie fait partie des collectifs Lesvos LGBTIQ+ Refugee Solidarity et No Border Kitchen, qui agissent sur l’île grecque de Lesbos aux côtés des personnes migrantes. Afin de pouvoir financer le refuge déjà existant et si possible louer d’autres logements pour y héberger des migrant.e.s LGBTQI+ qui risquent leur vie dans le camp de Moria, à Lesbos, pour payer des avocat.e.s ou apporter un soutien émotionnel et médical aux membres de la communauté, les deux collectifs organisent une cagnotte, accompagnée d’une soirée-concert de soutien le samedi 20 avril au Centre Anim Montparnasse, à Paris.

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Le Castor Magazine : Comment t’es-tu lancée dans les luttes ?

 

Julie : 2016 m’a radicalisée ! J’étais déjà intéressée par la lutte anticapitaliste et contre toutes formes d’oppressions mais, là, ça grouillait d’espoir et de rage. Cela m’a permis de rencontrer plein d’activistes, de fréquenter des endroits militants et, de fil en aiguille, de me projeter dans ce combat contre les frontières, pour la libre circulation de toutes et tous.


Le Castor Mag : Quels sont tes domaines d'action ?

 

Julie : Je bouge pas mal donc c’est difficile de vraiment faire partie d’une association à part entière. Je rejoins des groupes de maraudes quand je peux, et je file un coup de main de temps à temps à United Migrants sur Paris. On y fait des permanences pour aider les personnes dans leur demande d’asile ou les aiguiller dans leurs recherches diverses : il y a plein de petites choses sur lesquelles on peut être présent.e.s, même si on ne comprend rien aux paperasses et à l’administration ! En ce moment se prépare aussi la campagne "Stop Dublin", cri d'indignation contre l'absurdité de cette loi et le traitement inhumain réservé aux demandeur.se.s d'asile, leur traque et leur enfermement. Et puis maintenant, je crois que je peux dire que je fais partie des collectifs Lesvos LGBTIQ+ Refugee Solidarity et No Border. A Lesbos, on est visible surtout grâce à la cuisine vegan qu’on y fait, mais c’est avant tout un combat politique, c’est un réseau de lutte. Il y a beaucoup de militant.e.s qui vont et qui viennent, mais on est majoritairement anarchistes, en tout cas fortement anticapitalistes (j’ai du mal à concevoir une lutte pour l’abolition des frontières sans remise en cause du système d’ailleurs !). Le fait d’appartenir à ces collectifs est vraiment ressourçant, il y a une telle solidarité à Lesbos que, en tant que No Border, on finit toutes et tous par y revenir ! Ici, quelque soit le projet que tu puisses avoir à l’esprit, cela a du sens et c'est utile.


Le Castor Mag : Comment as-tu pris conscience de l’existence de ces camps de migrant.e.s ?

 

Julie : Il y avait beau avoir Calais, c’est en parlant avec une connaissance grecque que j’ai eu le déclic. C’est peut-être à cause de son point de vue (elle considérait les migrant.e.s comme des nuisances) que j’ai compris qu’il fallait agir, que l’urgence était encore d’actualité et qu’il fallait apporter un peu d’humanité dans ce contexte abominable. Finalement, je n’avais aucune idée de ce qui se passait après que les radeaux soient arrivés sur la plage, comme on les voit sur les photos, et c’est quelques mois après cette discussion que j’ai découvert toute l’horreur des camps et du système autour. C’est très dur à décrire, c’est traumatisant. Quand j’en parle ici, à mes camarades et à mes proches, à longueur de journée, j’ai toujours l’impression d’avoir vécu la guerre. Pourtant, je vis à l’extérieur du camp, je suis juste là pour essayer de soutenir les personnes migrantes, je ne vis pas de force dans le camp de Moria et je ne suis pas rejetée et dénigrée pour mes papiers. Mais y être, ça fout un sale coup dans ta foi en l’humanité.


Le Castor Mag : As-tu rencontré certain.e.s migrant.e.s LGBTQI+ ? Comment se sont déroulé.e.s ces rencontres ?


Julie : Bien sûr, au collectif Lesvos LGBTIQ+ Refugee Solidarity, on a un local où se tiennent des réunions de manière hebdomadaire. Cependant, même au sein du collectif, c’est un peu compliqué. Tout le monde est admis sur critère d’auto-identification, certaines personnes ne se sentent pas en sécurité. Il nous faut toujours garder en tête qu’en s’outant, en s'identifiant en public comme LGBTQI+, ces personnes se mettent en danger. Dans le camp, elles risquent des persécutions, la menace de viol et le harcèlement sexuel sont omniprésents, certaines personnes ont du être hospitalisées suite à des attaques LGBTQI+phobes. On s’en doute, la police et les autorités ne sont d’aucun secours, perpétuant parfois elles-mêmes ces violences.
Pour ce qui est de la demande d'asile en elle-même, la situation est extrêmement délicate, vu que beaucoup de migrant.e.s LGBTQI+ viennent de pays où il est interdit d’être lesbienne ou trans, par exemple, et se dévoiler signifie être mis.e en danger de mort. Ces personnes ont donc l’habitude de cacher leur orientation sexuelle ou identité de genre or elles se retrouvent à devoir la prouver devant les autorités européennes pour obtenir l’asile. De plus, les critères des institutions pour déterminer si une personne est homo ou non sont particulièrement douteux, on a vu l’exemple en Autriche qui, en l’espace de deux semaines, a refusé l’asile à un homme jugé « trop gay » et à un second jugé « pas assez gay ».


Le Castor Mag : La situation en France concernant les migrant.e.s est-elle comparable à la Grèce ? Pourquoi ? 

 

Julie : C'est dur à dire. Je pense qu'entre La Chapelle et Moria, on ne peut pas hiérarchiser : on entrave la liberté de circulation des migrant.e.s et "l'accueil" qu'on leur réserve est absolument indécent dans les deux cas. Des camps informels se forment toujours en France, entre "salle d'attente" et mouroirs. Pour ce qui est de Moria, on le surnomme parfois le "Calais oublié de la Grèce", c'est bien que du Sud au Nord de l'Europe, les conditions pour les personnes migrantes sont à peu près aussi inhumaines !  J'ai lu l'interview d'un médecin qui disait que même pendant les épidémies d'Ebola en Afrique où il avait été mobilisé, il n'avait jamais vu autant de détresse et si peu d'espoir qu'à Lesbos. Mais je crois que c'est ça le plus douloureux : à Lesbos, on pense que rien au monde ne peut être pire que ce camp, mais j'ai rencontré des personnes qui ont échappé à cette île et franchi ces maudites frontières et qui se retrouvent finalement encore plus désemparées parce que la France ne leur offre rien de mieux, et va même jusqu'à leur coller des procédures Dublin pour les renvoyer en Grèce. Finalement, les pouvoirs publics se montrent incompétents partout ! Pour garder un brin de positivité quand même : il y aussi plein d'initiatives en France comme en Grèce, des gens qui se lèvent face à l'injustice, et de beaux projets qui voient le jour.


Le Castor Mag : Le samedi 20 avril, quatre groupes punks, féministes et queer (Rock'n'bones, Versinthë99, Lush Rush et Judith Judah) jouent au Centre Anim Montparnasse dans le cadre de votre soirée de soutien. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer cet événement de solidarité ?

 

Julie : Pas de quoi me jeter des fleurs : j’ai rencontré beaucoup de camarades qui organisaient des soirées de solidarité, et j’ai un bon pote qui fait des concerts, je me suis dit que le sujet était assez urgent et qu’il fallait à tout prix informer et se mobiliser. Mais en tant qu’activistes, j’ai l’impression qu’on en bave déjà assez par moment, ça me semblait donc important de faire un événement « positif ».


Le Castor Mag : Pourquoi avez-vous choisi de rassembler des musicien.ne.s punks autour de cet événement ?

 

Julie : Pourquoi le punk ? Pour toute la révolte et la contestation que le mouvement exprime ! Pour extérioriser d’une manière utile (en récoltant des fonds) toute notre rage contre ces injustices ! De la bière et des pogos, ça me paraît aussi un bon début pour impulser une envie d’aller arracher tous les barbelés et brûler nos papiers. En attendant d’en arriver là, je pense que c’est également l’occasion de rapprocher la scène punk et queer, qui ne sont pas toujours si liées que ça, malheureusement. Du coup, j’ai cherché des groupes queer et bien féministes, ça me paraissait évident que ces groupes avaient leur place sur scène, plus que ceux composés exclusivement de mecs cis ! Et ça m'a fait vraiment chaud au cœur que tous les groupes acceptent immédiatement de participer au concert !


Le Castor Mag : Peux-tu nous expliquer le but de cette soirée ? 

 

Julie : Sensibiliser à la question des migrant.e.s qui se retrouvent coincé.e.s dans des camps concentrationnaires aux portes de l'Europe, et dénoncer plus particulièrement la situation dans laquelle se retrouvent les personnes LGBTQI+. Les conditions sont terriblement rudes : c’est dur d’imaginer ce que ça doit être d’être abandonné.e dans un camp, de dormir dans une tente surpeuplée, de ne pas pouvoir se laver ni se changer, d’avoir peur de se faire voler son peu d’affaire, de devoir faire la queue plus de trois heures pour récupérer une ration de nourriture quasiment immangeable, de ne pas avoir accès à l’eau potable, de devoir faire la queue encore et encore pour aller voir un médecin qui ne peut rien pour vous, de ne pas pouvoir parler à un psy parce qu’il n’y a pas d’interprète, de n’avoir rien à faire que de penser à son passé douloureux et puis d’attendre chaque jour un changement qui tarde, craignant en même temps d’être renvoyé.e dans son pays d’origine, et d'y être peut-être réduit.e en esclavage, persécuté.e, tué.e. 
Comme je l'ai dit un peu avant, pour les personnes LGBTQI+ c’est encore plus difficile. C’est pour ça que le collectif a vraiment besoin de vivre et donc d'être soutenu. Ces réunions proposent une réflexion politique sur les besoins des migrant.e.s LGBTQI+ mais apportent aussi un moment de réconfort, de chaleur au sein d’une communauté. On commence en général par un petit tour de parole et on entend fréquemment revenir ces quelques mots « ça ne va pas du tout - mais je suis content.e d’être là avec vous ». 
L’argent collecté ce soir-là permettra de participer aux frais relatifs aux réunions ainsi qu’au loyer des personnes LGBTQI+ qui vivent hors du camp, mais aussi assurer un soutien médical (notamment en terme d’injections pour les personnes trans), psychologique, et juridique (pour faire appel d’une décision négative concernant la demande d’asile, par exemple).


Le Castor Mag : Comment faire prendre conscience de la situation alarmante des migrant.e.s LGBTQI+ ?

 

Julie : Publier cet article, c'est déjà un bon départ pour promouvoir l'événement ! Et puis, il faudrait en parler un peu partout autour de soi, que les gens aient au moins un aperçu de ce qui se passe. Ca reste dur de toucher et intéresser, on n'a pas toujours envie de penser à ce genre d'horreur... Mais j'ai envie de croire que les personnes qui prendront conscience de l'urgence et du drame trouveront également des idées d'actions et de mobilisation à mettre en place. Finalement, je pense que le fait d'agir directement est aussi une bonne façon d'alarmer : de l'hébergement à l'ouverture de squat, du soutien aux CRA (centres de rétention administrative) ou des cours de français…  ces gestes de solidarité sont parfois contagieux. Et puis sinon, il y a aussi la cagnotte lancée en parallèle du concert, pour celles et ceux qui voudraient filer un coup de pouce sans pouvoir venir le 20 avril !

          RENDEZ-VOUS :

 

 

 

Propos recueillis par Maa et Pam Méliee

Mars 2019

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