P'tite dernière

Je suis la p'tite dernière
derrière toi.
Aîné des aînés des aînés, bien avant toi,
on traînait déjà derrière soi
des gamines, des petites, des filles,
des sœurs, des mères, des traînées,
des sacs de pierres.
Tu domines avec tendresse (TU PATERNALISES)
Tu as toujours eu un petit mot, un joli geste,
un bras qui se referme comme un étau,
un regard de ferraille pour casser mes pleurs...
Merci mon frère, mon alter, mon ternel
mais je pleure toujours avec les mêmes larmes qu’autrefois.
Désormais je vois clair à travers elles
et je les garde bien dans mes yeux,
tout au fond de mes yeux,
quelques prunelles dont tu ne veux pas.
Vous n’aurez pas mes larmes.
Elles sont si pures, si rondes, si sincères,
vous n’y croirez pas !
Regardez-là bien la p’tite, dans les yeux pleurnicher,
parce que c’est la dernière fois !
Regardez-moi bien, à bout de bras
(vous n’avez jamais pris la vie qu’à bout de bras).
Ma rage se lève, mon cœur renâcle, ma larme se cabre,
ma tête galope à faux,
je suis suspendue à vos cernes !
Regardez-vous crever,
les oiseaux, les perdrix, les moineaux,
la petite fille.
Vous saurez que c’était moi.
La grande bringue qui traînait dans vos pattes,
la vieille carne têtue,
le p’tit rouge-gorge qui chantonne sur le ricanement des hyènes.
Vous n’aurez pas mes larmes
— je vous laisse mon cri
comme un poème à la broyeuse.
C’est vrai, je n’ai pas de pudeur,
et je n’ai pas sommeil.
On ne dort pas dans un charnier,
on ramasse les corps.
Je veux séjourner ici, les yeux ouverts,
miroirs renversés cavalant ,
projetant des quatre fers leurs hurlements sur la terre.
Vous n’oserez pas vous y regarder.
Cheval fou,
jour sans trêve.