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Niko - La naissance du cygne

Tu vas la fermer ta boîte à chier de la prose ? Tu vas la fermer, oui ? Nous, c’est de la poésie qu’on propose ici, tes histoires de lesbienne mal dégrossie même pas engrossable, ça intéresse personne, ok ?

-Ok.

Ici, c’est un groupe de rock, tu comprends ? Du rock ! Alors, tes petits malheurs d’enfant de la DASS, ça nous intéresse pas. Ton malheur a rien à faire dans les coulisses, ok ?

-Ok.

Le chaos dans ta foutue tête de trans pas comestible, ce chaos, c’est sur scène qu’il a sa place. Viens pas nous chialer dans le micro quand on a coupé le son ! OK ?

-Ok.

Bon.
Pas de prose quand tu montes on stage. De la poésie, rien que de la poésie.
-Ok.

Niko

Mes débuts dans le Rock...
Ça m’a rappelé ma prof de danse classique quand j’avais six ans. Le jour où elle a coupé les rubans de mes pointes devant toutes les filles du groupe. Tu as des couilles Niko ! Tu sais ce que c’est des couilles ? T’as déjà vu des couilles en tutu ? J’ai déjà expliqué à tes parents que si tu voulais intégrer ce cours, tu devais mettre un p***** de collant à coque. Une coque ? Oui, une coque pour protéger tes couilles, Niko ! Tu as déjà oublié ?


Ce jour-là, ma prof - j’arrive pas à me souvenir de son prénom - avait complètement pété les plombs. Elle m’avait poussé hors de la classe, mon sac avec mes affaires de change était resté à l’intérieur, et j’avais froid. J’ai attendu dans le couloir jaune-pourri que mon père vienne me chercher. Quand je lui ai dit ce qui s’était passé, il m’a dit que je ne remettrai plus jamais les pieds dans ce cours, et il m’a tendu mon goûter. J’aurais voulu qu’il pète le nez tout moche de la prof sans nom et que ça saigne partout sur ses chaussures.


J’aurais voulu qu’il me fasse monter sur ses épaules et qu’il défonce la porte de la salle en hurlant C’est ma petite fille vous comprenez ! C’est ma petite fille ! Ne parlez plus jamais de couilles à ma petite fille, elle n’a que six ans. Elle ne comprend pas. A six ans, elle ne peut pas comprendre ça ! La seule chose qu’elle comprend, c’est que c’est une fille, bordel ! Mon père est mort ce soir-là. Percuté par la connerie des grandes personnes.


Satané Lac des Cygnes ! J’ai toujours haï Tchaïkovsky !

Je pensais qu’en faisant du rock, j’aurais moins de mal à m’intégrer. Je pensais que dans le rock, les gens qui étaient à fleur de peau, on leur servait les petits fours dans des mangeoires dorées. Je pensais qu’en disant simplement, salut moi, c’est Niko, on me foutrait la paix... Tu parles ! Niko ? C’est un prénom de mec ? Non, c’est japonais. T’es un mec ? Non. T’es une fille ? Oui.

Une fille prisonnière dans un corps de garçon. Ça sonne rock, non ? Bullshit. En plus t’aimes les filles ? T’es lesbienne du coup ? 

-Je sais pas.

C’est compliqué, dis donc ton truc, tu pouvais pas faire plus simple ?

-Non, et je t’emmerde.

Depuis la maternelle, on cherche à me faire rentrer dans une case. Une case pas à ma forme. Une case qui me fait mal sous les aisselles, sous les seins, dans la bouche et jusqu’au bout des doigts. Si votre enfant est un garçon, il ne peut pas venir en robe, Madame. Pourquoi ? Parce que c’est la loi. Mais les filles peuvent bien mettre des pantalons ? Ça n’a rien à voir.
A la gueule, qu’on lui a fermée, la porte, à ma mère, ce jour-là. Entre dans la case, ou dégage de mon établissement... Elle a bonne presse l’Education Nationale ! Tout ça parce que j’ai mal dans le pli du pantalon. Mais j’ai un mot du médecin, elle a dit ma mère. Dysphorie de genre. Elle n’a rien choisi.

 

Arrêtez de dire Elle, s’il vous plaît.
-Elle.
Sortez.

Il. Elle. Ni fille ni garçon. La chose. Le monstre. Le truc. Pd fille. J’ai tout eu. Et la plupart des fois, les insultes ne venaient pas des enfants, mais des parents. Ne joue pas avec elle, elle va te montrer son zob quand vous jouerez à la dinette. Ne parle pas avec elle, elle va te dire des mots sales. Ne deviens pas amie avec elle, tu pourrais devenir comme elle... Ne la regarde pas, ne la touche pas, ne lui cherche pas d’histoire, fais comme si elle n’était pas là, elle n’est pas là. Elle n’est nulle part, ni dans une case, ni dans l’autre, elle n’existe pas.


Aujourd’hui, moi, star inconnue du Rock and Roll, je voudrais m’adresser aux grandes personnes qui m’ont fait du mal, et leur crier dans les tympans :

P***** je suis née comme ça.
Derrière mes couilles
Je sens ma vulve fantôme
Je sens mon clitoris qui se cabre

Lorsque mon sexe se durcit, ce n’est pas la case de mon désir qu’il pénètre mais celle d’une administration préhistorique
Lorsque je tiens un nourrisson dans mes bras, le lait perle au bout de mes seins


Je suis née comme ça
Derrières mes couilles, ne vous déplaise
Je sens mon vagin ancestral
Je sens mon pénis qui mouille

Quand je suis excitée, c’est tout mon être qui est en érection.
Je suis un quelqu’un d’entier
Je suis une personne à part entière
Et je vous vomis vous, les adultes, les grands, les responsables


Pour répondre à vos questions, mesdames messieurs les enquêteurs
Non, je ne donnerai jamais naissance
N’aurai jamais le droit d’avorter
Ni de sang qui coule le long de ma verge

Est-ce à cela que l’on reconnaît une femme ? Aux litres d’écarlate qu’elle déverse ?
Un rouge de Rothko pourrait bien faire l’affaire alors...
Et pendant que je m’inonde dans un noir Soulages bien viril
J’imagine pour me noyer le Klein d’un bleu profond où je n’aurai pas pieds


Être en vie,
Voilà à vos yeux ma plus grande faute !


Si dès l’enfance, j’étais rentrée dans le droit chemin
M’auriez-vous aimé à ma juste valeur, à l’époque ?
Et aujourd’hui, écouteriez-vous mes chansons ?

Malgré l’appendice mal dissimulé sous mon plumage, Madame la professeure sans nom, aurais-je pu danser la variation du cygne blanc ?

 

Malgré mon goût pour le parfum à la rose, Madame la proviseure, aurais-je pu une seule fois déjeuner à côté de quelqu’un à la cantine ?

 

Malgré le C de mon prénom transformé en K, Messieurs les professeurs de Gym, auriez-vous pu crier « Vas-y Niko, shoote dans le ballon !!! » ?

 

Mais voilà, Nicolas je ne suis pas. Mes parents, eux, l’avaient compris, et accepté. Ils avaient compris que pour sauver leur petit garçon, ils devaient le laisser être une fille. Parce que c’est ce que j'étais, là au fond, tout dedans.

Nicolas, trop fille pour être un garçon, trop garçon pour être une fille. Cochez la case et rayez la mention inutile, c’est la loi. Ce que je suis n’a pas d’activités extra scolaires, - hormis les échecs, et encore -... ce que je suis n’a pas de trousse. Tu veux la trousse la Reine des Neiges ? C’est Bioman ou crève ! Ce que je suis n’a pas de cartable, pas d’ami·e·s, de vélo, de soutien, de jouet, pas de respect. Ce que je suis n’a pas de nom !

 

Aube 2021.
J’ai laissé avec mon enfance, les grandes personnes... La plupart sont mortes, congelées ou ne votent plus depuis un bail, alors à quoi bon comptabiliser leurs voix ?


Nouvelle année. Je ne cherche plus ma case.
Je pars à la recherche de mon nom !


Aube 2021.
J’ai fait ce rêve inclusif et pénétrant.
Les cases n’existent plus.
Obsolètes, elles ont toutes été déprogrammées. De leur quatre petites parois bien lisses, telles des fleurs géo-sensibles, elles ont éclos pour créer une ligne. De cette nouvelle ligne, pleine et volontaire, elles tracent le chemin d’une voix qui s’ouvre vers un nouveau nommable.

C’est dans ce nommable du jamais nommé que je me situe, aux confins du singulier et de l’universel, sur le fil d’un nouveau langage, d’une nouvelle pensée.

Tournée 2021
Je monte sur la scène enhormonée, devant mon public en transe. Le micro soudé à la mâchoire, je crache ma poésie en live. Des lettres de feu crachent mon prénom sur un écran géant.


N.I.K.O.


Alors que je m’apprête à actionner de ma santiag couleur Bette Middler la pédale de l’ampli, je les vois propulsés sur le devant de la scène. Armés de leur rubans satinés scarifiés et recousus, je les reconnaîtrais entre mille... mes chaussons de pointe !


Madame la professeure, est-ce vous ? Se pourrait-il qu’enfin, vous me proposiez de les porter ces chaussons interdits ? Phobique dans la foule, vous n’êtes plus que l’ombre de vous-même. Vous aussi, vous avez perdu votre nom après tout, vous connaissez ma souffrance.
Mais vous avez recousu mes rubans, il n’est jamais trop tard pour recoudre les rubans des petites filles.

Je passe le pied dans la cruelle pantoufle (le coton de sang y dort encore tout au fond), je noue les lacets autour de ma cheville, et je m’élève dans les airs, au-dessus des planches. Le chausson est comme moi, bien solide, vivant, il a cicatrisé. De son apparence frêle et usée, il porte mon corps et mon âme dans la danse que j’ai toujours rêvé de mener.


Celle de la naissance du cygne.


De la poésie, rien que de la poésie, Niko...


Mais si je veux proser, moi ?
Je grimpe sur les épaules de mon père. Je défonce l’entrée de la salle de danse, et j’hurle sur le Monde, sans tutu ni coque à collants.

 

A trente-sept ans, je suis nue et je fais ma première pirouette. C’est alors maintenant que je sais. J’ai toujours aimé Tchaïkovsky.

Texte : Clio Van de Walle

Photo : Nolan Caussin

Modèle : Noah

Mai 2021

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