top of page

Les victimes de violences sexistes et sexuelles en fosses de concert et festivals brisent le silence

Les violences sexistes et sexuelles n’épargnent aucune scène musicale et sont systémiques. Récemment, plusieurs articles (notamment l’enquête de Donatien Huet publiée le 22 mai sur Mediapart) ont pris la mesure du problème en rendant public des témoignages accablants de victimes qui déclarent avoir été agressées sexuellement ou violées par des personnalités influentes et des artistes du milieu. Parce que la libération de la parole est un facteur majeur de changement, parce que nous en avons assez que la sphère musicale et la société se déresponsabilisent, parce que nous voulons montrer le véritable calvaire auxquelles les femmes et les minorités de genre sont trop souvent confrontées en allant à un « simple concert », Le Castor Magazine donne la parole aux victimes qui ont subi le harcèlement sexuel, l’agression et le viol en fosses de concerts et en festivals.

Violences sexistes sexuelles festivals concerts

Illustration : Lucie Lgt

Note préliminaire : Une partie des violences sexistes et sexuelles, bien que considérées comme délits ou crimes par le Code Pénal, sont banalisées par le système. Si bien que certaines personnes agressées ne se sentent pas légitimes à l’idée de prendre la parole. Ces personnes prennent sur elles et intègrent tellement de formes d’agressions qu’il leur semble qu’elles ne relèvent pas forcément des choses inacceptables en concert. C’est pourquoi Le Castor Magazine a fait le choix de publier à la fois des témoignages de victimes de violences sexistes et de violences sexuelles, et de parler des obstacles systémiques que produit notre société contre les femmes et les LGBT+.

 

Les femmes et les LGBT+ vivent des violences en raison de plusieurs systèmes d’oppression qui interagissent entre eux comme le sexisme, les LGBT+phobies, le racisme, le validisme, le classisme, etc. Les mêmes ressorts de domination se retrouvent dans le microcosme musical et ce, malgré des valeurs accueillantes et bienveillantes affichées. Bérénice Millereau est co-présidente de l’association féministe et culturelle Les Aliennes, diplômée d’un Master dans les industries créatives option musique à la SOAS University à Londres. Selon elle, les mécaniques de domination et d’oppression demeurent bien implantées dans la sphère musicale, dans un contexte où les hommes sont les usagers majoritaires de l’espace public. « J’ai écrit mon mémoire de fin d’études en 2019 sur la place donnée et laissée aux femmes en tant que public dans les festivals de musique en France. Mon hypothèse était que dans un pays avec autant de violences sexuelles et sexistes envers les femmes, les personnes transgenres et non-binaires, ces espaces culturels étaient de moins en moins accessibles pour iels. Depuis 2019, la situation n’a pas évolué. L’espace social public est masculin. Il est pensé par et pour les hommes, il donne énormément de pouvoir aux hommes. C’est un contexte crucial. Dans les salles de concerts et en festivals, les hommes jouent chez eux et sont en confiance. » Encore aujourd’hui, ces hommes ont un regard de contrôle sur les corps dans l’espace public. En effet, la plupart des femmes et des minorités de genre ont subi en concert des remarques machistes et insultantes, des regards soutenus, des attouchements sexuels, voire des viols. Or, ces abus et violences modifient souvent le sentiment de légitimité des victimes à fréquenter certains espaces à cause du monopole masculin dans les concerts. Nous avons décidé de faire entendre leurs voix, en espérant que le secteur de la musique regarde enfin les choses en face et mette en place des mesures internes.

 

 

Dans l’enfer des festivals

 

Les espaces de fête, de rassemblement et parfois d’excès que sont les festivals peuvent rapidement se transformer en zone d’insécurité pour les femmes et les LGBT+. « Certains osent des choses en milieu festif qu’ils n’oseraient pas dans un autre contexte. Les risques d’agression sexuelle ou de harcèlement sont exacerbés par l’alcool et les drogues qui désinhibent », explique Bérénice Millereau. Les agresseurs profitent alors de l’anonymat de la foule et de la proximité des corps pour agir en toute impunité.

« J’ai été violée durant un concert au Hellfest en 2017 »

 

Durant l’été 2017, avant que MeeToo éclate, plusieurs viols et agressions sexuelles sont rapportées au plus gros festival metal d’Europe, le Hellfest, qui a lieu à Clisson (près de Nantes), et à d’autres festivals un peu partout en France. Camille revient sur ces événements dévastateurs. « J'ai été violée durant un concert au Hellfest en 2017. Ça s'est passé le premier soir devant une tête d'affiche. Le concert commence, et il était très difficile d'apprécier le concert au vu du nombre de personnes au m². Je me souviens qu'à certains moments mes pieds ne touchaient même plus le sol. J'ai perdu mon ami dans un mouvement de foule, et j'ai commencé à faire une crise de panique au milieu du concert. Certaines personnes m'ont proposé de m'évacuer en me portant au-dessus de la foule. C'est au moment où j'étais portée, sur le ventre, que quelqu'un a inséré un doigt sous mon short, ma culotte puis dans mon vagin. Je suis restée pétrifiée car je ne pouvais rien faire pour me défendre, je ne pouvais même pas reconnaître l'agresseur. Une fois réceptionnée par un gars de la sécu, je n'ai pas su lui dire ce qui m'était arrivé.

Je suis allée à l'infirmerie du camping, où l'infirmière m'a indirectement dissuadée de porter plainte (mais ça ne m'a pas arrêté). J'ai été emmenée au commissariat, et l'agente de police qui a reçu ma plainte m'a confié qu'elle avait déjà reçu trois plaintes de viol dans la même journée. Et on était qu'au premier jour…

Deux ans plus tard, l'affaire de viol au Hellfest a éclaté, et le communiqué du Hellfest m'a mise dans une colère noire. Ils savent très bien que ce n'est pas un cas isolé, seulement ils ne veulent pas l'admettre. Il y a un groupe non officiel sur Facebook du Hellfest, et ce que j'ai pu y lire est gerbant. Des commentaires qui banalisent le viol et qui traitent les victimes de menteuses, ou encore des gens qui disent qu'ils ont vu des mecs violer des meufs plusieurs fois mais sans rien faire. La communauté du metal, et particulièrement sur ce groupe Facebook, est toxique et gangrenée par la misogynie, le racisme et les LGBT+phobies.

Suite à cette affaire, j'ai décidé de rédiger un mail à l'orga du Hellfest concernant mon histoire. J'ai aussi voulu le faire parvenir à ce groupe Facebook (qui a quelques centaines de milliers d'abonné·e·s, je crois), mais anonymement en demandant à un ami de le transmettre au modérateur. Ce dernier a refusé car je cite "ce sont des conneries et le témoignage est faux". »

 

Encore aujourd’hui, la parole des victimes est bien souvent remise en question, minimisée ou méprisée. Le témoignage de Camille illustre ce phénomène. Le premier réflexe de nombreuses personnes, en particulier d’hommes, est de mettre leur parole en doute, de leur reprocher ne pas fournir de preuves matérielles suffisantes ou d’en utiliser des fausses pour salir la réputation de quelqu’un. Constamment, la victime est suspectée de mentir, tandis que la personne accusée (un homme, dans la majorité des cas) trouvera des soutiens. Mais la plupart des actes ne laissent aucune preuve, surtout quand la victime met du temps à libérer sa parole. Et les victimes s’exposent à des insultes ou à être attaquées en justice. Au contraire, le courage des victimes devrait être salué. Elles brisent un certain isolement, et lorsqu’elles témoignent, les autres victimes se sentent moins seules et comprennent qu’elles ont vécu la même chose. A l’heure actuelle, la plainte de Camille a été classée sans suite et l’agresseur n’a pas été retrouvé.

 

« Un mec a commencé à se frotter à moi en plein concert »

 

Comme l’affirme Camille dans son témoignage, ces violences ne sont pas un ensemble de faits isolés, mais le résultat d’un système : le patriarcat. Or, mettre en doute la parole de ces victimes est une manière d’éviter de remettre en cause le système en question. L. témoigne de deux agressions lors du festival de musique metal Le Motocultor, à Vannes (Bretagne), en 2015 et 2017. Elle raconte aussi l’absence de prise en considération et l’indifférence d’hommes qui préfèrent rester dans le déni de la réalité. « Les deux fois où je me suis faite agressée dans la fosse, c'était au Motocultor (la grande famille du metal, hein...). La première en 2015, j'avais 16 ans, c'était mon premier festival, et trois mecs, sans me prévenir ou me demander, ont trouvé ça marrant de me soulever pour me faire slammer et en ont bien profiter pour me toucher le cul. J'étais complètement pétrifiée, c'était la première fois que je me retrouvais dans cette situation et j'avais peur de me faire mal en me débattant pour redescendre.

La deuxième c'était en 2017, quand un mec a commencé à se frotter à moi en plein concert. Je me suis éloignée de lui plusieurs fois ostensiblement, il revenait à la charge. Donc j'ai fini par lui hurler qu'il devait me lâcher, et il m'a regardé sans comprendre. Quand j'ai raconté ça à mon copain de l'époque (qui n'était pas à ce concert avec moi), j'étais en colère et lui ne réagissait pas, j'ai fini par crier "non mais il s'est frotté à moi !". Sa seule réaction a été de me dire "tu peux arrêter de crier, s'il te plait ?"

On dit souvent que les festivals de metal sont plus "safe" que les autres, mais j'ai vu et subi tellement de trucs dans le genre... Il est grand temps que ça sorte. »

 

« Le gars veut me prendre en photo avec lui alors que je n'ai pas donné mon accord »

 

Lucie raconte un festival d’électro dans la province de Hainaut, en Belgique, où elle a vécu une situation d’attouchements et où un homme a voulu la photographier sans son consentement. « Je devais avoir 16 ans. J'étais en festival d'electro avec une amie et sa sœur, majeure, qui nous accompagnait. On s'amuse toute la journée puis la nuit commence à tomber, les DJ's les plus attendus arrivent. On se rend à la scène hardstyle car la sœur de mon amie voulait absolument voir quelqu'un. Une fois là-bas, on danse, on est entourées de gens, et là je sens une main sur ma taille, je me retourne et je vois un homme d'une vingtaine d'années qui me sourit. Je souris mais j'enlève gentiment sa main et je recommence à danser en oubliant ça. Sauf que quelques minutes après je sens, deux bras sur mes épaules, tendus, et je vois que le gars veut me prendre en photo avec lui alors que je n'ai pas donné mon accord. Je me suis dégagée de ses bras mais je ne savais pas du tout quoi dire, j'avais 16 ans et aucune répartie. Heureusement, la sœur de mon amie a vu ce qui s'est passé, elle a engueulé le mec et on est parties. Après ça, j'ai eu du mal à profiter à nouveau de la soirée, j'avais toujours peur qu'il revienne et qu'il m'engueule ou quelque chose comme ça. »

« En tant que femme trans, une énorme charge mentale pèse sur moi »

 

Si la fête est le lieu du lâcher-prise et de l’excès pour les hommes, au contraire les femmes et les minorités de genre ne doivent jamais baisser la garde. Pour exister et évoluer en festivals, celles-ci doivent constamment sécuriser leur environnement, policer leur attitude, se méfier des hommes, quitter tôt un événement, etc. Nina, fêtarde et militante féministe, abonde en ce sens. « Je n’en peux plus de ces comportements toxiques. En tant que femme trans, j’ai une énorme charge mentale qui pèse sur moi quand je suis en festival techno. Je ne peux pas juste kiffer, je dois rester vigilante : sécuriser tout le temps mon périmètre du regard, faire gaffe à ne pas envoyer des signaux qui seraient mal interprétés, éviter au maximum les mecs relous, faire semblant de ne pas entendre certaines de leurs réflexions... » Et le festival peut vite devenir un environnement hostile à une identité de genre ou à une orientation sexuelle différente de celles imposées par la société cishétéronormative. « Il y a trois ans, à un festival d’électro belge, quelqu’un m’a hurlé "Hé, on voit tes couilles ! Tu fais honte à l’espèce humaine !" Je n’ai pas eu le temps de voir d’où ça venait, j’ai préféré prendre la fuite. Maintenant je n’y vais plus seule, je me déplace constamment en groupe ».

 

« Une main sort de la foule pour lui attraper un sein »

 

En 2016 à la première édition parisienne du Download Festival, un festival de musiques actuelles dédié au rock sous toutes ses formes, Ludwig est témoin de violences sexuelles. « J'ai vu une femme slammer, et commencer à perdre son pantalon. Tandis qu'un homme tentait de le lui remettre, un autre tentait de le lui enlever.
Même festival, une autre femme slamme, et une main sort de la foule pour lui attraper un sein. En baissant les yeux j'ai vu à qui elle appartenait. Il s'est tourné vers ses potes, fier, mort de rire.
» L’humour oppressif de ce groupe d’hommes est une stratégie assez banale de dédramatisation des agressions sexistes et sexuelles. Ces comportements qui tolèrent les violences voire s’en amusent, mènent à la souffrance, au doute, à la solitude des femmes et des LGBT+, et laissent proliférer les traumas. Ils mènent aussi à l’exclusion de certaines femmes et minorités de genre des festivals ou à l’auto-exclusion.

« Je suis parti du concert parce que ce genre d’ambiance me dérange beaucoup et que le conflit en général m’angoisse beaucoup » explique Ludwig, qui aurait aimé avoir été sensibilisé à la question en amont et avoir accès à des ressources pour réagir de la bonne manière et gérer mieux la situation.

 

« Il y avait une main sur mon entrejambe, que j’ai immédiatement repoussée »

 

Le témoignage de Dora, lors du festival Solidays, à Paris, reflète également le lot quotidien de femmes et de minorités de genre dans les rassemblements musicaux. « C’était mon premier festival, j’avais 15-16 ans je crois. Une pote avait réussi à nous faire entrer sans payer donc on était trop contentes. On est allées voir Danakil et il pleuvait ce jour-là donc ambiance reggae, odeur de weed et tout le monde collé qui patauge dans la boue. Jusque-là, un moment vraiment sympa ! Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite, étant donné qu’on était toustes vraiment collé·e·s comme dans un métro en heure de pointe, mais j’ai commencé à sentir quelque chose sur mon corps, qui descendait vers mon ventre. Le temps que je baisse les yeux, il y avait une main sur mon entrejambe, que j’ai immédiatement repoussée. Je me suis retournée et il y avait un grand mec qui dansait collé à moi. Je ne savais pas vraiment comment réagir, l’ambiance était bonne et ma pote riait. Du coup, c’est vrai qu’à cette période-là et jusqu’à récemment, j’ai même pas pensé au fait que c’était pas normal et que ça pouvait être considéré comme une agression. Après je ne suis pas traumatisée, mais surtout choquée que certaines personnes puissent encore se permettre ce genre de choses et pire, et aussi choquée de pas m’être rendue compte à ce moment-là de ce qu’il se passait. »

Festivals, ouvrez les yeux !

 

Pour briser cette culture du silence et faire cesser les violences qu’elle dissimule et perpétue, les festivals doivent désormais arrêter de fermer les yeux. Ils doivent prendre des positions fermes contre ces abus et agir de façon concrète : écouter et protéger les victimes ; trouver des solutions qui tiennent comptent des besoins des victimes (être à l’aise, ne pas avoir à endurer la présence d’un agresseur réactivant des traumas… ) ; avoir un processus d’embauche paritaire et vigilant ; éduquer, former leur équipe ; sensibiliser le public et les artistes aux questions des violences sexistes et sexuelles ; inclure des femmes et des LGBT+ dans les équipes de sécurité ; organiser des programmations paritaires à partir d’une perspective intersectionnelle avec des musiciennes femmes, LGBT+, racisé·e·s  (le manque de représentations étant nocif et participant à l’isolement des victimes ainsi qu’à leur discrédit), etc.

Violences sexuelles Rafaelle Fillastre

Illustration : Rafaelle Fillastre

Violences en fosses de concert

 

Les fosses de concert sont également le théâtre d’agressions sexistes et sexuelles. De nombreuses femmes et minorités de genre nous confient passer des soirées entières à gérer et subir des comportements masculins oppressifs.

 

« Il me bloque le passage et me force à boire son verre de bière »

 

« Je suis chanteuse dans le groupe queer-punk Versinthë99. Avec notre quatuor punk féministe parisien, nous subissons depuis quatre ans les remarques LGBTphobes sous couvert de blagues (« Wah, c’est pas un pedalboard de tapette, ça ! »), le paternalisme des ingés sons qui contestent nos savoirs musicaux et font des remarques condescendantes (à la fin d’une balance, l’un d’eux nous dit : « Bah vous vous êtes amélioré·e·s depuis le dernier concert »), les médias punk/rock qui font du mansplaining (un média nous a déjà expliqué qu’une photo c’est une image fixe et un clip c’est une image qui bouge), ou encore les injonctions du public d’hommes cisgenres à se déshabiller (le fameux « A poil ! », « T’es bonne »), j’en passe. A titre personnel, j’ai aussi connu l’agression physique dans une fosse de concert.

 

J’ai l’habitude d’aller régulièrement chanter dans la fosse. D’abord pour une raison technique parce que les scènes où l’on joue sont souvent minuscules lorsqu’on est quatre musicien·ne·s, mais aussi parce que c’est un endroit où je peux avoir un échange privilégié avec le public : on communique par le regard et je donne parfois le micro à des femmes et à des LGBT+ qui ont envie de s’égosiller sur un refrain avec nous. En août 2018, lors d’un concert dans une petite salle parisienne, je chantais fièrement dans la fosse lorsqu’un mec cisgenre surgit dans le public, se met derrière moi, me bloque le passage avec ses bras, et me force à boire son verre de bière alors que je n’en ai absolument aucune envie. Je me suis débattue, j’ai dû à moitié avaler et recracher la bière, et il s’est décidé à se dégager. Sur le coup, je me suis remise à chanter comme si de rien n’était. Par la suite, quand on jouait à un événement grand public (et pas à un événement spécifiquement féministe et queer), il y avait des moments où je doutais de moi et où j’avais peur de descendre dans la fosse. Aujourd’hui, je sais que j’y suis vulnérable, que je peux être touchée, agressée ou me faire pogoter violemment. Aujourd’hui, je suis sûre que je ne réagirai pas de la même manière. Je pense que je stopperai le concert et que je ferai dégager le type de la salle. Mais à l’époque le groupe avait tout juste un an, et c’est l’un des deux organisateurs de la soirée qui m’agressait. Le second, également musicien dans le milieu punk-rock, a léché le manche de guitare de notre guitariste et lui a touché les parties génitales pendant le même concert.

 

J’aimerais aussi parler des pogos, qui sont une plaie pour les femmes et les minorités de genre, les personnes handicapées, etc. C’est l’expression même de la domination intégrée et des inégalités. Aux concerts de Versinthë99, on dit régulièrement « Queers and Grrrls to the Front ». Ça veut dire que les hommes cisgenres sont derrière, et qu’ils ne doivent pas en bouger, tandis que les femmes et les personnes queer profitent du concert et ont leur espace de sécurité. Mais dans la majorité des concerts de punk auquel j’assiste, nous ne sommes pas pris·es en considération. On sent bien que les pogos sont une affaire de mecs cisgenres (ils y sont d’ailleurs en écrasante majorité). Ils cassent les plus vulnérables (coups dans les seins, bleus, et ça c’est évidemment au mieux) et ils relaient les femmes et les minorités de genre sur les côtés, derrière un poteau, ou au fond de la salle. Bref, là où on ne voit rien. Et ce, même si ces personnes ont investi la salle en premier. J’aime participer à des pogos, ils sont ancrés dans la culture punk/rock, mais pas quand je manque d’oxygène et que je suis mise en danger, tout ça pour quoi, pour qu’une brochette de couillons puissent affirmer leur virilité ? »

 

« Deux mecs ont voulu me faire slammer sans mon consentement »

 

« Je devais avoir 20 ans. Lors d’un concert de The Arrs, un mec moshait au milieu de la fosse. Il reculait vers moi alors je lui ai mis la main sur son épaule et je lui ai dit de faire attention car il était proche du public. Le mec m’a foutu volontairement un gros coup de coude dans la bouche parce qu’il n’était pas content. La bonne nouvelle c’est que comme il m’a fait à moitié tomber par le choc du cou, une pote m’a retenue et comme c’était une pogoteuse reconnue, elle lui a sauté dessus pour le défoncer. A un autre concert (L’Empreinte, à Savigny), j’étais mineure je crois, deux mecs ont voulu me faire slammer sans mon consentement. Ils m’ont chopé tous les deux (je ne les connaissais pas), je me suis débattue comme pas possible. Ils m’ont lâché car je leur foutais des coups de rangers. Je les ai insultés mais ils rigolaient. » (Laure, guitariste dans le groupe punk-rock féminin The Arsenics)

 

« Etant handicapé, ils pouvaient me mettre dans une situation dangereuse »

 

« Je me rappelle d’un concert de Petrol Girl, où j’étais avec deux autres amies. Le groupe est connu pour ses positions féministes et LGBTI-friendly. La chanteuse (Ren Aldridge) avait imposé le fait de laisser le devant de la fosse pour tout le monde sauf aux hommes cisgenres. Cependant, tous n’étaient pas allés au fond… Deux hommes bourrés bousculaient tout le monde. Au point que mon amie me protégeait d’eux car étant handicapé, ils pouvaient me mettre dans une situation dangereuse. Ces deux hommes s’amusaient à titiller mon amie. Un autre était derrière mon autre amie. Il se collait, la bousculait légèrement pour qu’elle soit obligée de se mettre derrière afin d’être tranquille. J’étais très en colère car ces hommes ne prenaient pas en compte la parole de la chanteuse. » (Maa, bassiste non-binaire)

 

« Un mec me pousse par terre et me saute dessus »

 

« Au concert des Smashing Pumpkins à Paris, vers 2008, lors de moshpit, un mec grand et baraqué (je fais 155cm) me pousse par terre et me saute dessus. J’ai cru mourir. Heureusement une meuf m’a attrapée et sortie de là… » (Eva)

 

« Ils revenaient un par un pour me toucher les fesses »
 

« En 2017, je suis allée au concert No Filter des Rolling Stones à la U Arena, avec mon père. Là-bas, on a retrouvé une amie à lui. Avant que le concert commence, dans la fosse, il y avait des mecs anglais complètement déchirés derrière nous. Et j'ai mis du temps à comprendre qu'ils étaient en train de me tripoter, alors je me suis décalée (je ne sais pas si mon père et son amie ont vu). Mais plus tard, ils revenaient un par un pour me toucher les fesses et celles de l'amie de mon père. A la fin, en les regardant, j'ai compris qu’ils étaient en train de nous comparer en rigolant. » (Nathy)

 

« Tout le monde est bienvenu, mais plus on correspond au cliché du metalleux un peu beauf, plus on a de chances de passer un moment safe dans les concerts et festivals »

 

« J'étais à un concert de Airbourne. Normalement, l'ambiance est vraiment innocente : on est là, on se lâche, on lève les mains toustes ensemble, bref, c'est sympa. Sauf que cette fois-là, alors que le concert commençait, et que j'étais prête à headbanger comme jamais, j'ai senti avec horreur une main m'attraper le cul. Sur le coup, j'ai même eu une petite hésitation, parce que dans la fosse, quand ça bouge, les mains qui te rentrent dedans par accident, tout le monde l'a vécu. Mais là, ça n’était pas juste une main qui me frôlait. C'est quelqu'un qui m'avait attrapé le cul.

J'ai fait un bond en avant, en me disant : "Bon, quel connard (j'ai assumé que c'était un mec, y avait que des mecs derrière moi), mais je vais juste m'éloigner". Sauf que la personne qui a fait ça a non seulement recommencé, mais en plus a glissé sa main, par derrière, ENTRE mes jambes, comme pour m'attraper comme ça. Cette fois-ci, j'ai donné un coup de coude féroce, et je me suis retournée en lançant un regard haineux. Y avait rien d'autre qu'une brochette de mecs. Ils auraient très bien pu voir ce qu'il s'était passé, et c'était peut-être l'un d'entre eux, mais ils m'ont tous regardé avec étonnement, donc j'ai laissé tomber et je me suis cassée de ce coin de la fosse. (…)

Rien que d'y penser encore ça me révolte. J'avais déjà été victime de sexisme et entendu des propos queerphobes dans le milieu, avec des gens qui faisaient des remarques du genre : "Tu écoutes du metal de gonzesse" ou "Le power metal c'est pour les pédés ou les meufs", mais jamais personne ne s'était permis de me toucher comme ça. J'étais juste horrifiée.

Au début, je pensais que le milieu metal était super safe, mais au vu de ce qui ressort ces dernières années, des témoignages que j'ai entendus, puis cette agression que j'ai subie, j'ai vraiment relativisé. Je ne doute pas qu'il y a plein de gens dans le metal qui sont bien intentionnés et qui casseraient la gueule à un agresseur s'ils le voyaient agir, mais reste que derrière la façade vendeuse de "la grande famille" où quiconque écoute du metal est inclus dans le cercle, il y a des comportements très problématiques. (…) Le metal est un milieu essentiellement masculin, il suffit de regarder la composition des groupes. Et quand on a la chance d'avoir des groupes avec des femmes à l'intérieur, soit ce sont des égéries immaculées, soit ce sont des groupes moins connus. A part de rares exceptions, c'est un monde assez masculin, qui n'échappe pas aux codes d'une certaine culture viriliste. 

Pour conclure, oui, bien sûr qu'il y a de tout dans le metal. Mais c'est quand même un milieu qui favorise "l'entre-couilles", on ne va pas se mentir. Tout le monde est bienvenu, mais plus on correspond au cliché du metalleux un peu beauf, plus on a de chances de passer un moment safe dans les concerts et festivals. En tout cas, depuis ce qu'il m'est arrivé, j'ai continué d'aller aux concerts et d'en profiter, mais ça m'a quand même laissé un goût amer dans la bouche. Ces gens-là, les agresseurs, ils nous privent de la joie de passer un bon moment sans être réduites à notre corps. C'est franchement affreux. » (Blandine)

 

Rendre les salles plus safe

 

Pour désamorcer ce genre de situations, de nombreuses associations féministes contribuent à ouvrir les yeux aux pros qui travaillent dans les salles sur les situations discriminantes qui s’y déroulent. Parmi celles-ci, le collectif Loud’her, né en 2018, organise des projets qui rendent visible les personnes qui se sentent femmes, les personnes trans et non-binaires, dans le secteur des musiques actuelles, principalement à l’échelle de la région Hauts-de-France. Fort de plus de 150 adhérent·e·s et parmi ces personnes, une vingtaine de bénévoles, le collectif organise plusieurs types d’actions à destination de différents publics : des artistes femmes, transgenres et non-binaires, des profesionnel·le·s du secteur musical en région, le grand public, des publics scolaires. « Au-delà de la sensibilisation, explique Juliette, l’une de ces bénévoles, je pense que la formation de toutes les équipes (personnel salarié, de sécurité, équipes, bars, bénévoles) reste nécessaire pour rendre les salles plus safe. Les différentes actions que nous menons contribuent déjà à créer la rencontre entre des artistes (femmes, transgenres et non-binaires) qui ne se connaissaient pas et qui après avoir participé ensemble à un workshop ou au projet BLAM ("Badass Ladies Arranging Music" : une création collective éphémère) continuent d’échanger et/ou travaillent ensemble sur de nouveaux projets musicaux. Et ça c’est super ! Ce qui évolue aussi, ce sont les sollicitations de plus en plus nombreuses des structures de musique de la région, donc de profesionnel·le·s du secteur qui prennent conscience des inégalités de genre et souhaitent agir pour que les choses bougent ».

 

 

Pam Méliee

Septembre 2021

bottom of page