top of page

 

L’industrie du VICE 

 

 

Révélé au grand public en 2014 par un reportage exclusif sur l’Etat islamique en Syrie, le groupe d’information VICE NEWS ne cesse d’être encensé par la critique. Il faut dire, celui-ci a parfaitement su vendre l’image aguichante d’un média jeune et branché, alternatif et provocant. Indissociable des multinationales et des grandes institutions, le site véhicule pourtant davantage de stéréotypes ethniques, de propos racistes et d’images pornographiques que de contre-culture et de rébellion.

 

VICE

 

Le Magazine VICE, et les articles en ligne. Véritable boucherie sexiste. 

 

 

VICE de forme 

 

 

« Comment prendre de la drogue quand vous êtes une fille ? », « Peut-on lire sur le visage d’un gay s’il est actif ou passif ? », « La vie est dure, mais moins que de passer une soirée à se faire souffler de la cocaïne dans le cul »… Voilà le genre de sujets que vous rencontrerez sur VICE et qui sont censés enchanter les branchés urbains de la terre entière.  

 

Au-delà d’une esthétique marquée par la pub et le porno, dont les deux photographes Terry Richardson et Richard Kern sont les principaux représentants, les images d’intimidation et d’exploitation qui illustrent les articles de VICE regorgent. Les rubriques en sont symptomatiques : un encart « Crime » pour la culture des cagoules et des tatouages, un autre «Information », où l’on ne s’étonnera pas de trouver un pot-pourri de sujets à la fois sérieux et très superficiels, un autre « Sport/Tech », exclusivement masculin, « LGTB », regorgeant pourtant de remarques sexistes, masculinistes et transphobes, « NSFW », où l’on pourra faire des expériences fun avec la drogue (en ingérant par exemple de la cocaïne par l’anus) ou se cultiver en apprenant que le porno féminin est émotionnel et qu’il permet de se défaire du stress quotidien…  

 

D’après Suroosh Alvi, cofondateur du magazine, « VICE est un omnibus. On y trouve des choses très superficielles autant que des sujets sérieux et on ne cesse de se diversifier » (Libération, juillet 2013). Mais l’unité dédiée à l’actualité internationale, souvent en vidéos, revêt parfois un point de vue complaisant vis-à-vis de l’Etat islamique ou de la Corée du Nord, et ne suffit à gommer les autres contenus violents et discriminatoires du magazine.  

 

Gavin Mclnnes, qui a quitté VICE en 2008, s’est fait connaître avec une tribune où il déclarait à propos des transsexuels : « Ce sont des homos malades mentaux qui ont besoin d’aide, et cette aide n’inclut pas d’être mutilés par des médecins (…) Ils sont cinglés et piégés dans le corps d’une personne folle ». Il s’est aussi fait remarquer en faisant l’apologie du suprématisme blanc ou en déclarant que l’envie des femmes est d’être « dominées ». Ajoutons à cela les photographes vedettes du magazine, Richard Kern, principal acteur de la naissance du « porno chic » (pornographie dans la pop culture et la publicité), et Terry Richardson, accusé de chantage sexuel durant ses shootings, avant d’être envahis par un immense sentiment de défiance vis-à-vis de ce média d’information soit disant provocant et sensationnel, mais en réalité particulièrement intégré dans la publicité et l’establishment

 

 

 

Un empire médiatique estimé à 2,5 milliards de dollars 

 

 

 

Le magazine VICE est lancé en 1994 au Canada, à Montréal. Mêlant la culture, la mode et les drogues, il se présente alors sous forme de mensuel gratuit, distribué dans les bars et les universités dans le cadre de la réinsertion de jeunes drogués. C’est en 1999 que VICE s’installe à New-York et élargit ses activités à la vente de vêtements, à l’édition, ou à la musique. A partir de ce moment, le groupe multiplie les partenariats avec de grandes enseignes telles NikeHBOAdidasRed BullXbox, qui font paraître leurs publicités à l’intérieur du magazine. En 2007, VICE obtient un partenariat avec MTV qui encourage sa production de guides de voyages alternatifs, diffusés en DVD, sur Internet et à la télévision. Une cadre de la Maison Blanche, Alyssa Mastromonaco, est recrutée comme directrice générale, et l’un des fils de Rupert Murdoch (dont le groupe a acquis 5% de Vice médias en 2013) siège au conseil d’administration. Après tout, les dirigeants du groupe peuvent au moins vendre l’idée qu’ils sont porteurs d’une contre-culture et qu’ils sont cools puisque le chiffre d’affaire de la France ne s’élève qu’à 3,85 millions d’euros en 2014 (soit une hausse de 50% par rapport à 2013), et que de toute façon, à l’image de toute société américaine non cotée, le groupe n’est pas tenu de publier un chiffre d’affaire global.  

 

Shane Smith, cofondateur de VICE, a beau nous annoncer que « VICE est la voix de cette génération » et qu’il est « la relève de la garde des médias », on a du mal à prendre au sérieux certains articles du magazine sur les militants zadistes du barrage de Sivens ou sur le mouvement pacifiste Occupy Wall Street dénonçant le capitalisme exacerbé, dans la mesure où VICE est sponsorisé par des multinationales telles Coca Cola ou Google et qu’il vante les mérites d'un univers vraiment crasse. 

Shane Smith

 

Shane Smith, cofondateur de VICE, en Corée du Nord et en Afghanistan, lors de ses « expéditions journalistiques » 

 

 

 

Un univers vraiment crasse 

 

 

 

Ce qui est énervant avec VICE, ce sont ces mecs à bonnets et chemises à carreaux, au sourire complètement beauf, qui traînent pas loin des locaux du magazine dans le quartier du Faubourg-Saint-Denis (dixième arrondissement) et qui dissertent sur les articles rebelles de ce média hors-normes. On les entendra parler du dernier papier de VICE sur « la science-fiction féministe » (« les femmes sont des extra-terrestres », « des colonies lunaires » que l’on doit évidemment conquérir… ), donner leur avis sur « le festival de la couille », ou sur un reportage exclusif de VICE dans un bar à pipes de Bangkok. Ils vanteront le ton provocateur du magazine et son attitude décomplexée vis-à-vis du sexe et de la consommation de stupéfiants.

 

Le problème est que VICE est une boucherie sexiste dont le marketing et la publicité se délectent. Toutes les rubriques ont leurs stéréotypes sexués. Les valeurs masculines sont associées à l’usage des drogues et à la délinquance. Les femmes prenant de la drogue y sont toujours jugées immatures, marginales, indisciplinées ou prostituées. Pourtant, les toxicomanes ne sont pas seulement des adolescentes droguées ou des prostituées dont l’image « grand public » s’est construite dans les années 70, elles peuvent être des mères, des femmes pauvres, des salariées… Les articles de mode quant à eux, mettent en scène des mannequins dénudées ou des actrices X professionnelles qui sont là pour les lecteurs « mecs ». Des gars jeunes, blancs, libres, friqués, sans enfants et hétérosexuels, machos et virils, avec de préférence une barbe et un maximum de tatouages. Un lectorat cible qui est consumériste, et nécessairement fashion. La relation homme/femme est abordée sous l’angle d’un rapport de force omniprésent, tandis que les homosexuels, les lesbiennes et les transsexuels sont marginalisés au plus haut point, et sont les éternels perdants. Difficile de ne pas avoir des sueurs froides devant ce média qui manie à merveille le mythe de la subversion et qui ne trace pas vraiment la voie de l’émancipation individuelle. 

 

  

 

 - Pam Méliee

janvier 2015

bottom of page